C'est peu dire que la Crossrunner apparue en 2011 a connu quelques difficultés à se faire une place au soleil! Son physique, disons… difficile, ne l'a guère aidé à séduire malgré d'évidentes qualités, et un manque d'aspects pratiques ne facilitant pas son positionnement n'ont guère joué en sa faveur. Le concept, tout sauf abouti, ne manquait pourtant pas d'intérêt. La base, la VFR, s'est forgée une belle réputation sur ses qualités intrinsèques. Le segment sport-touring connût des heures plus glorieuses qu'aujourd'hui et en dériver une variante plus confortable et polyvalente ne manquait pas d'intérêt. Las, ce premier jet manquait cruellement d'aboutissement.
Honda, confiant dans sa VFR, nous l'a brillamment rafraîchie l'an dernier, sans pourtant abandonner le concept sport-touring en perte de vitesse. Elle séduira sans doute les afficionados du genre, mais les fans de la première heure de la VFR ont vieilli et cherchent peut-être plus de confort. Pourquoi ne pas repenser la Crossrunner? C'est ainsi que la vilaine chrysalide s'est muée en attirant papillon!
Pour cette présentation sous le soleil andalou, le constructeur nippon n'a pas eu peur de montrer le chemin parcouru en amenant avec son essaim de nouvelles Crossrunner la première du genre et, la pôvre, elle ne pouvait guère soutenir la comparaison: elle est vraiment aussi laide que dans nos souvenirs!
Rien de tout ça avec le millésime 2015 qui bénéficie des retouches apportées à la VFR800F, comme par exemple le repositionnement des radiateurs à un emplacement plus orthodoxe, devant le moteur. Tout bénéfice pour les designers qui ont pu travailler un habillage moins massif, plus tendu et plus expressif. Plus dans l'air du temps, tout simplement!
L'influence des autres "X" de la marque se fait bien sûr sentir, et la filiation à la nouvelle VFR "F" va dans le bon sens, avec par exemple les magnifiques roues, les phares "full LED" en "X", l'échappement, le nouveau bras oscillant ou encore le traitement graphique de la fourche. Certes, on revenait de loin, mais cette fois-ci, la Crossrunner convainc dès le premier regard, d'autant que la finition a elle aussi sérieusement progressé.
Techniquement, la "X" ne diffère de la nouvelle "F" que par des points de détail. Le moteur est retravaillé sur l'allumage, l'admission et l'injection pour gagner en couple à bas et mi-régime. Les suspensions voient leurs débattements augmenter de 25 mm à l'avant, 28 pour l'arrière, avec une garde au sol portée à 165 mm; l'antipatinage HSTC peut se régler sur deux modes au lieu d'un.
La "X" reprend le principe de la selle réglable sur deux hauteurs (815 et 835 mm), hérite des poignées chauffantes réglables sur cinq niveaux et de l'extinction automatique des clignotants suivant différents paramètres.
Par rapport à l'ancienne Crossrunner, le travail se montre conséquent. Esthétiquement, ça saute évidemment aux yeux, mais en détaillant la machine, on se rend vite compte que les aspects pratiques ont cette fois-ci été privilégiés: tableau de bord plus flatteur et plus complet (consommations moyenne et instantanée, trips, horloge, indication du rapport engagé, de l'antipatinage et des poignées chauffantes, température extérieure…), géométrie assise – repose-pieds – poignées revue avec un guidon 4 mm plus haut, 28 mm plus proche et 88 mm plus large que le précédent. Son design abandonne le style scooter à trois balles pour un bel élément à diamètre différencié autrement plus valorisant.
La boucle arrière, qui abandonne l'acier pour l'aluminium, est redessinée avec une selle en deux parties nettement plus accueillante pour l'éventuel passager. Elle intègre de solides poignées de maintien et les supports de l'éventuelle bagagerie disponible en accessoires.
A ce propos, pointons que Honda n'a pas jugé utile de monter une béquille centrale ou un lèche-roue: il faudra donc piocher aussi du côté des accessoires. C'est une question de "value for money" nous ont assené nos interlocuteurs! La disparition du freinage couplé ne fut pas autrement justifiée… Il reste malgré tout les étriers radiaux et l'ABS hérités de la "F", et la possibilité de monter en option un quickshifter permettant de monter les rapports à la volée sans toucher à l'embrayage ou couper les gaz, un petit "plus" dont bénéficiait la "n°17" qui nous fut attribuée.
Notons encore parmi les accessoires les valises, différents top-cases, le porte-bagages, les protections latérales, les antibrouillards, la prise 12V, l'alarme, le pot Akrapovic. Des packs regroupant différents accessoires seront également disponibles.
Comme toujours chez Honda, le corps trouve immédiatement ses repères sur la machine. Notre mètre quatre-vingt s'accommode parfaitement de la selle en position haute et de son dessin affiné sur l'avant. Le compteur reste intelligemment haut placé mais le coup d'œil sur son environnement se montre largement plus réjouissant. La Crossrunner est dorénavant soignée!
Nous voici partis pour une belle boucle de 200 km au-dessus de Marbella, une région que nous avions déjà écumée avec les compères du Wild Gentlemen Tour. Premiers kilomètres dans le flot de la circulation généré par la côte. Le V4 se révèle plus conciliant que sur la "F" dans les bas régimes et autorise des reprises franches, à défaut de se montrer ébouriffantes. Parfait dans ce cas de figure!
Confortablement installé, nous ne trouverons à redire que sur la bulle, non réglable, et qui provoque des remous bruyants dans notre casque. Nous quittons la côte et son infâme voie rapide pour partir à l'assaut de l'arrière-pays.
Ayant pris du retard sur notre groupe, notre ouvreur met "la sauce" avec sa VFR1200X. Il est temps de changer de tempo: nous rentrons les rapports, grimpons dans les tours. Le VTEC actionne toutes les soupapes vers 7.000 trs, et le V4 monte en régime avec une belle vigueur.
Pas d'esbroufe, pas d'appréhension à essorer la poignée comme sur certaines motos dégoulinant de chevaux, mais une réelle efficacité, une vraie présence, un vrai plaisir de jouer avec les deux facettes de cette moto, qui en veut quand on lui en demande, mais qui peut se montrer aussi sage qu'agréable et prévenante sur un rythme plus mesuré.
Contrairement à la VFR sport-touring, on ressent moins le besoin d'abuser de la mécanique et donc de titiller les radars. Fou ce qu'un réglage un peu différent d'un moteur et une autre position de conduite peuvent changer la perception d'une moto. Car la "F" et la "X" sont jumelles. On retrouve le châssis facile à vivre, un travail des suspensions superbe, alliant confort et rigueur de comportement. Vu le rythme, la moto pompait parfois sur certaines compressions, mais un petit ajustement des réglages lors de la pause a corrigé ça immédiatement. Plus de freinage couplé, mais des ralentissements faciles à doser, puissants, avec une attaque franche et rassurante. De la belle ouvrage ici encore!
Le bon plan, alors? Presque! Si le poids de 242 kg ne se fait guère sentir en roulant, il est malgré tout bien là et mieux vaut le garder dans un coin de sa tête pour éviter une mauvaise surprise. Nous aimons les deux facettes de la machine, gentille- méchante, mais la consommation risque de grimper vite en jouant au méchant. Pour le reste, difficile de la prendre en défaut, la Crossrunner, et elle démontre, si besoin en était, l'absurdité de l'évolution, aussi délirante que ridicule, des gros trails qui vont maintenant chercher les 160 chevaux. Au secours!
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