Notre première réaction, à la présentation de ce monstre, fut de nous demander à quel usage un tel engin peut bien servir, et c’est avec un scepticisme certain que nous sommes venus prendre les clés de la bête chez l’importateur Kawasaki. Il faut admettre que le bestiau impressionne.
Le plumage
Massif, long comme un jour sans pain, il ne laisse pas indifférent. Loin des canons esthétiques des hypersportives actuelles, la ZZR affiche une silhouette plutôt lourde et peu révolutionnaire, mais très travaillée sur le plan aérodynamique. Parmi les traits saillants, on note les deux énormes et presque démodés silencieux de part et d’autre d’un bras oscillant long mais banal, une selle épaisse qui respire le confort, un impressionnant museau qui donne, avec les feux de position, l’impression d’un regard à six yeux caractéristique, des flancs nervurés comme l’étaient ceux de la Boxer-Bike Lamborghini il y a vingt ans, d’où n’émergent que de rares éléments mécaniques. Petite remarque au passage, les photos de la moto bleue en action illustrent un modèle américain. Une fois enfourchée, la moto se fait moins intimidante. La selle moelleuse culmine à une hauteur accessible à tous, les guidons-bracelets placés suffisamment hauts induisent une position dynamique mais tout à fait acceptable, dans l’esprit Honda VFR, BMW ou Triumph ST. Comme sur toutes les japonaises (air connu…), toutes les commandes tombent parfaitement sous la main ou le pied. La première s’enclenche aisément, l’embrayage n’est que du bonheur, l’ensemble s’ébroue sur un filet de gaz.
Au guidon du monstre
Ça y est, nous chevauchons le «monstre» ! Et tout se passe bien. Le moteur, d’une souplesse remarquable, enroule dès les plus bas régimes, et la progression en ville se déroule sans problèmes particuliers. Le poids de l’ensemble ne se dissimule pourtant pas et lors des changements de direction, l’avant engage lourdement. Mention tout à fait honorable en ville donc, d’autant que la position et la suspension fournissent un réel confort, sportivo-GT tendance GT. Freinage sans reproche, avec la tranquillité d’esprit de l’ABS, option dont est équipée notre machine d’essai. Et c’est tant mieux, vu la quantité d’eau qui tombe. Pourvu que tout l’essai ne se déroule pas par un temps pareil… Le lendemain, nos vœux seront exaucés et le soleil ne nous quittera plus. Toutes les qualités entrevues lors des premiers kilomètres parcourus au guidon de la ZZR se confirment. Cette moto se révèle d’un confort remarquable, autant pour le pilote que pour sa charmante passagère, prête à affronter en Allemagne des vitesses que la morale réprouve chez nous, mais qu’elle rêvait d’atteindre un jour…
Festival of speed
La ZZR avale l’autoroute à des vitesses hallucinantes. Ou plutôt non. La ZZR avale l’autoroute avec une facilité encore plus hallucinante que la vitesse à laquelle elle la parcourt ! Heureux Allemands qui peuvent bouffer de la borne à plus de 300 km/h, bien calés à l’abri du carénage, sans autre fatigue que la tension nerveuse due à la concentration nécessaire pour pratiquer de telles vitesses. C’est tout simplement bluffant. Le compteur refusant obstinément de dépasser 299 km/h (la gradation s’arrête à 300, non affiché) il ne reste plus qu’à jeter un œil sur le compte tours et faire de savants calculs… Sachez simplement, qu’à 5000 tr/min, la vitesse approche les 160 km/h et qu’à plus de 10.100 tr/min sur le dernier rapport, elle en veut encore…
Rapide ET confortable
A ces vitesses peu habituelles, la moto semble scotchée aux ruban d’asphalte. Insensible aux imperfections du bitume, elle file, impériale. Les courbes de l’autoroute qui, à ces vitesses là, commencent à ressembler à des virages, sont avalées avec une sérénité et une aisance qui force l’admiration. Cette moto affiche une stabilité sur l’angle qui impose le respect. Revers de la médaille, elle ne se balance pas comme un vélo sur les petites départementales, et se montre alors plus physique à emmener. Il n’empêche: autant les hypersportives sont devenues vraiment inadaptées à la route, autant la ZZR1400 évite avec brio cet écueil.
Malgré ses performances ébouriffantes, elle se montre réellement adaptée à un usage routier. Son réel confort, son freinage complété de l’ABS, sa puissance exploitable, son agrément aux vitesses légales, laissent présager le plaisir qu’apportera la définition purement GT extrapolée de la ZZR, la GTR.
La GTR va faire mal
Celle-ci viendra concurrencer la FJR 1300 remaniée par Yamaha cette année, et la K1200GT de BMW, mais avec de solides arguments. Même avec un peu moins de puissance, le bloc de la ZZR ne manquera ni d’arguments, ni agrément. D’un point de vue technique, la ZZR n’apporte pas de grandes d’avancées. Le cadre monocoque en alu, déjà rigoureux en soi, voit sa résistance à la torsion renforcée par des fixations moteurs rigides et les massives pièces de fonderies de la colonne de direction. L’architecture moteur quatre cylindres en ligne est maîtrisée depuis des années par Kawasaki, qui emploie cette configuration en MotoGP. Le propulseur de la ZZR, issu de la ZX12R, est optimisé en terme de compacité et de réglages pour limiter l’encombrement de la 1400 et rendre plus accessible ses performances. Le bloc ZZR fait appel à un balancier secondaire qui atténue les vibrations inhérentes à ce type d’architecture moteur. La fourche inversée de 43mm à cartouches et la nouvelle suspension arrière uni-track à biellette viennent compléter l’ensemble. Le freinage est confié à trois disques pétales, décidément très à la mode chez Kawasaki, pincés par des étriers à quatre pistons à montage radial pour l’avant et un classique étrier à deux pistons opposé pour l’arrière, le tout contrôlé par un ABS très convaincant, livrable en option pour 600€, à ajouter au prix de départ de la ZZR, 13890€ .
Jamais dire jamais.
Une conclusion? Non, ce genre de bécane n’est pas une aberration, et oui, nous avons pris un plaisir énorme à parcourir (rapidement!) des kilomètres à son guidon. Les hypersportives se sont tellement éloignées des réalités de la circulation routière en se focalisant sur l’efficacité sur circuit, qu’elles ont laissé le champ libre à des motos comme la ZZR1400, moins déraisonnables à l’usage que sur le papier.
© Bruno Wouters