Peu de fabricants proposent encore des motos attelées, un seul en fait à notre connaissance: la firme soviétique Ural. Un bref historique pour planter le décor: l'histoire commence en 1939 et diffère selon les versions. L'officielle raconte que, malgré le pacte de non-agression signé par Hitler et Staline, ce dernier se méfiait et tenait à se préparer à une éventuelle offensive de son allié germanique. Parmi le matériel requis figuraient évidemment motos et side-cars. La BMW R71 correspondait parfaitement aux exigences de l'armée rouge, cinq BMW furent achetées discrètement en Suède pour être démontées et copiées en URSS. Début 1941, les premières M-72 furent présentées à Staline qui en approuva immédiatement la production. Une version plus vraisemblable implique BMW dans le cadre d'un transfert de technologie lié au pacte de non-agression liant les deux puissances. La rupture du pacte et l'attaque éclair des allemands en 1942 poussa les autorités soviétiques à transférer la production de Moscou vers l'est, à l'abri des bombardements allemands sur les contreforts des monts Oural, à Irbit.
L'après guerre
Après la guerre, IMZ (Irbitskiy Mototsiketniy Zavad) débuta la production de modèles destinés au marché domestique, et commença à exporter dès 1953. La firme, privatisée en 1998 a fabriqué depuis la première M-72 plus de 3,2 millions de véhicules. Il n'est sans doute pas inutile de préciser qu'avec la privatisation, la qualité et la fiabilité progressèrent sévèrement: meilleurs alliages, tolérances réduites, peinture plus soignée, chromes progressivement remplacés par de l'acier inoxydable, contrôle qualité suivi. L'accastillage évolue dans le bon sens aussi avec des fournisseurs reconnus comme Mikuni pour la carburation, Ducati pour l'allumage, Nippon Denso pour l'alternateur, Sachs pour les suspensions, SKF pour les roulements, ou Brembo pour le freinage. Pour le reste, pas de panique, plus rétro qu'un Ural, vous ne trouverez pas et, hormis le frein à disque Brembo, rien n'a apparemment changé depuis septante ans, rendant le side Ural délicieusement désirable et hors du temps. Northsiders, le nouvel importateur pour la Belgique, nous a confié son side de démo, peint dans les couleurs de la Fiat de Gaston Lagaffe, noir et jaune séparés par un damier noir et blanc: irrésistible!
B a ba
Alexis Lambert, l'un des trois pères fondateurs de Northsiders qui distribue aussi les Royal Enfield, attelées ou non, prend gentiment le temps de nous initier aux particularismes propres à la conduite d'un side. Petit cours théorico-pratique avec votre serviteur dans le panier pour écouter et observer le "pro", premiers tours de roues (et premier panier levé!) sur un parking, puis lâcher en solitaire sur les petites routes du Hainaut picard avant de décider Madame à nous accompagner à la découverte de la région de Dinant. Bilan? Madame (motarde à ses heures) ravie et prête à nous suivre jusqu'au bout du monde dans le panier, et nous déjà en train de réfléchir à comment ménager de la place dans un garage déjà bien encombré pour y accueillir un attelage! S'il est bien une expérience que tout motard devrait tenter au moins une fois dans sa vie, c'est bien de prendre le guidon d'un side! Nous avons goûté chaque kilomètre comme jamais, en prenant un plaisir fou à chaque virage, et sans jamais dépasser les limitations de vitesse. Il faut dire qu'avec un engin complètement asymétrique réagissant différemment selon qu'on tourne à gauche ou à droite, qu'on accélère ou qu'on ralentisse, on ne voit guère le temps passer!
A gauche, à droite
L'inertie du panier dicte en effet le comportement du side. A l'accélération, la roue motrice propulse la moto, mais pas le panier. Résultat, l'attelage tire à droite. A la coupure des gaz, la moto ralentit mais pas le panier: l'attelage tire à gauche. Le phénomène s'amplifie en freinant de l'avant. Si, par contre on freine de l'arrière, comme le tambour du panier est réglé plus mordant que celui de la moto, l'ensemble tire à droite. Vous suivez? Franchir un rond point devient pur bonheur: un coup de gaz pour engager le side dans le rond-point, coupure des gaz pour tourner dans le rond-point, et coup de gaz pour en sortir. Vous ne verrez plus les ronds-points comme avant! Le side demande une attention de tous les instants et beaucoup anticipation, constamment en équilibre entre la gauche et la droite, mais quelle satisfaction! Grosse différence avec la conduite d'une moto, il s'agit ici d'empoigner vigoureusement le guidon et le tourner dans le sens du virage, alors qu'il suffit de contre-braquer pour basculer une moto dans la courbe.
Bonheur
Avec les kilomètres vient l'assurance et on se prend vite au jeu, en sentant dériver l'attelage dans les virages, on se surprend à lever le panier et le virage se fend d'une banane comme rarement sur une moto, en tous cas jamais aux allures légales! L'Ural fait preuves d'insoupçonnables qualités: le Sportsman mis à notre disposition bénéficiant d'une transmission enclenchable sur le panier fait mieux que de la figuration en tout-terrain et dans la neige, les capacités de chargement paraissent sans limites, le confort est magnifié par une selle à ressort et un panier suspendu sur le châssis, et la mécanique réalésée à 750 cc depuis quelques années remplit parfaitement son office. Seule la boîte de vitesses montre le poids des ans, particulièrement dure et bruyante, avec un point mort souvent rebelle. Si elle ne propose que quatre rapports, elle offre par contre une marche arrière bien utile. Cette boîte revêche demeure sans doute le seul défaut qu'on pourra reprocher à l'Ural, par ailleurs particulièrement homogène et attachant. L'Ural, c'est l'équivalent d'un Land Rover Defender, une invitation au voyage vers les horizons les plus lointains. La fourchette des prix oscille de 11.175 € à 12.750 € (11.875 € pour le Sportsman): le prix d'une moto, le panier en prime! Sûr qu'après l'avoir essayé, vous n'envisagerez plus la route de la même façon!