VROOM.be : Chief Scientist, voilà un titre intéressant. Quel est votre rôle exact ?
Gill Pratt : Examiner avec le Toyota Research Institute les possibilités qui s'offrent à Toyota sur le long terme, notamment en matière de technologie, par exemple. Ce faisant, nous ne choisissons pas une technologie en particulier : nous étudions les possibilités qui peuvent renforcer notre stratégie future, mais aussi si et comment elles peuvent être mises en pratique. Si je peux me permettre une métaphore : nous devons repérer les sommets des montagnes, puis investir dans la recherche pour y parvenir à travers le brouillard des vallées. De nombreux projets sur lesquels nous travaillons ne donnent que peu ou pas de résultats, mais quelques idées débouchent sur des percées majeures. Une approche « high risk, high reward ».
VROOM.be : Toyota a longtemps semblé ne manifester aucun intérêt dans les véhicules 100% électriques, jusqu'à l'annonce d'une grande offensive d'électrification ?
Gill Pratt : Ce n'est pas que Toyota ne croyait pas à la voiture électrique. La différence est que nous parlons désormais davantage au public de notre stratégie d'électrification, car elle est désormais réalisable à plus grande échelle. Toyota développe des VE depuis 20 ans, mais aujourd'hui la technologie est vraiment mature. Nous avons fait beaucoup de recherches, mais même si la technologie n'était pas assez avancée, nous avons continué à y travailler. Aujourd’hui, la technologie des batteries est bien meilleure que ce qu’annonçaient nos pronostics d’il y a 20 ans, et même aux prix actuel, les batteries sont bien plus intéressantes que ce qui était anticipé à l'époque. C'est pourquoi nous pouvons communiquer plus librement sur le sujet.
VROOM.be : L'avenir de Toyota passera-t-il par les VE ?
Gill Pratt : En temps voulu, certainement. Mais pour l'instant, il y a encore un défi à relever : un manque de lithium. Non pas qu'il y ait une pénurie dans le sol, mais le problème est que le démarrage d'une mine de lithium prend beaucoup plus de temps que la construction d'une usine de batteries. Aujourd'hui, la demande en lithium pour fabriquer des batteries est très élevée, mais en ce moment, l'offre ne satisfait que la moitié de la demande : le prix augmente donc. J'estime que cette situation va perdurer pendant environ 10 à 15 ans. Par conséquent, si l'on se place à un niveau macroéconomique, il est actuellement plus intéressant pour le climat de construire un grand nombre d'hybrides ou d'hybrides rechargeables avec une petite batterie que quelques VE, compte tenu de l'approvisionnement limité en lithium. Nous pourrions ainsi, et en peu de temps, davantage diminuer les émissions mondiales.
VROOM.be : Toyota mise également beaucoup sur l'hydrogène, une piste également intéressante ?
Gill Pratt : Cela pourrait certainement être intéressant, mais plutôt sur le long terme. Nous travaillons actuellement d'arrache-pied sur la technologie afin d'être prêts à l'utiliser dès qu'il y aura suffisamment d'hydrogène vert. L'hydrogène gris qui existe aujourd'hui est peut-être moins nocif pour l’environnement que l'essence, mais il est plutôt comparable au gaz naturel. Une fois qu'il y aura suffisamment d'hydrogène vert, ce pourrait être une solution pour les véhicules de grande taille. Pour l'instant, nous ne savons pas où se trouve le point de basculement, à savoir à partir de quel type de véhicule, l’hydrogène serait plus intéressant que l’électrification avec batterie…
VROOM.be : Enfin, y a-t-il des développements intéressants qui vous tiennent à cœur ?
Gill Pratt : La paix dans le monde, et ce n'est pas une blague. Avec les 220 employés du Toyota Research Institute (TRI), nous effectuons notamment des recherches sur les technologies futures, y compris sur la robotique, l'énergie et les matériaux tels que les batteries. En outre, nous avons également un département appelé « human-centered artificial intelligence ». On y trouve des spécialistes du comportement et de personnes spécialisées dans le « machine learning ». En clair, ils étudient la manière dont nous pouvons prédire le comportement humain pour voir comment nous pouvons y répondre. L’objectif est de développer des choses qui aideront ces personnes dans leur vie et qui contribueront à notre objectif de neutralité carbone. Nous pouvons également utiliser l'intelligence artificielle et la science comportementale dont dispose TRI, afin de mieux comprendre les origines des conflits et trouver des moyens de les prévenir. Cela a très peu changé au cours des mille dernières années. Je ne suis pas naïf au point de croire que nous allons résoudre les problèmes immédiatement, mais il est important d'essayer de faire en sorte que nous nous comprenions mieux, ce qui permettrait d’éviter les guerres.