Les Buell se sont forgé une réputation sur leurs choix extrêmes, tant techniques qu’esthétiques. Angle de chasse réduit, empattement court, selle minimaliste, réservoir dans le cadre, moteur V2 issu des Sportster Harley, échappement sous le moteur, frein avant périmétrique, les originalités ne manquent pas! Résultat, des motos extrêmement radicales, amusantes et caractérielles, qui ne laissent personne indifférent. On aime ou on déteste! Mais tout le monde s’accordera à dire qu’elles ne sont guère fonctionnelles et qu’envisager un voyage à leur guidon relève de la douce folie ou d’un masochisme pur et dur. Quant au duo, inutile d’en parler à qui que ce soit, même à la plus amoureuse des femmes! Une Buell pas que pour jouer! Et puis, et puis Buell nous a sorti de son chapeau la XB12X Ulysses! Il fallait oser, et Buell a osé. La première Buell qui ne se contente pas d’être un jouet arpente nos routes depuis plus d’un an. La recette, assez simple, s’articule autour d’un cadre «King Size» plus long, qui offre un empattement plus grand, avec pour corollaire une capacité en essence accrue et, avec l’apport d'une selle redessinée, enfin de la place pour deux. Bien sûr, la géométrie se voit elle aussi retouchée, avec des suspensions qui gagnent en débattement et en souplesse. Un bonheur ne venant jamais seul, la marque satellite du groupe Harley propose une bagagerie spécialement étudiée, confirmant la vocation de voyageuse au long cours de la bien-nommée Ulysses. Nous prenons possession de notre Ulysses parée d’un très bel orange sur le parking du nouveau Flagship du groupe HD à Bruxelles, Capital Brussels, installé à Dilbeek. Cette nouvelle concession expose toute la gamme dans un environnement spectaculaire. Un étage est complètement dédié à l’équipement et nous retrouvons à la barre de l’atelier l’homme qui dans notre royaume connaît sans doute le mieux les entrailles des Harley, puisqu’il officiait déjà chez l’ancien importateur Supercycle, au temps où Harley ne vendait en Belgique qu’une poignée de motos par an. Les différences Revenons à notre Ulysses, qui ne peut cacher ses gênes familiaux. Le style caractéristique de la marque se retrouve en tous points, et hormis une hauteur imposante et un arrière alourdi par une selle enfin confortable et pensée pour deux, peu de choses la différencient du reste de la famille: un saute-vent plus important muni d’un petit pare-brise, un garde-boue surélevé (nous y reviendrons), des protège-mains, un grand guidon, un astucieux Triple Tail pouvant servir tour à tour de porte paquet (sur deux positions) et de sissybar, et des pneus spécifiques aux sculptures marquées. C’est tout, ça paraît peu et c’est beaucoup. La position de conduite est transfigurée. Déjà initiée par la XB9SX City, elle se montre ici tout à fait adaptée aux longs parcours. Hélas, l’épaisseur de la selle et les débattements revus à la hausse induisent une hauteur de selle qui, même corrigée sur le modèle 2007, l’interdit aux petits gabarits. Nains, passez votre chemin! Difficile de poser plus que la pointe des pieds à l’arrêt. Conjuguée à un rayon de braquage si limité qu’il ferait rire s’il ne faisait pas pleurer, cette hauteur de selle himalayenne rend certaines manœuvres vraiment périlleuses, particulièrement lors de démarrages en changeant de direction. On se retrouve à exécuter des miracles d’équilibre pour ne pas tomber tristement presque à l’arrêt. C’est sans doute là le plus gros défaut de l’Ulysses, parce que pour le reste, on retrouve tout le plaisir distillé par les Buell, l’efficacité en plus. Le moteur, très attachant, participe pour beaucoup au bonheur éprouvé au guidon de l’Ulysses. Son bruit inimitable, ou ses vibrations bien filtrées par les fixations «Uniplanar», restent suffisamment plaisants pour en affirmer le caractère, sans jamais devenir gênants. Le V2, l'âme des Buell Coupleux à souhait, le V2 tracte vigoureusement de 3 ou 4.000 à 6.500 tr/min. En deçà, ne lui demandez pas la lune, mais sur une plage de régime somme toute assez étendue, il fait preuve d’une bonne volonté réjouissante. Un moteur vivant et exploitable au quotidien, plein de caractère, comme on les aime, même s’il en est de plus performant. Il est secondé par une transmission en net progrès, malgré une dureté relative. La courroie, garantie à vie, offre un agrément que n’arrive pas à égaler BMW avec sa gamme F800. Les freins, identiques aux autres Buell, possèdent les mêmes qualités et défauts. Le frein avant offre un bon feeling et fait preuve d’une réelle efficacité. La moto se redresse moins en virage lors des freinages, la géométrie plus “routière” n’y est sans doute pas étrangère. Le frein arrière, dur comme un bout de bois, n’est guère puissant: aucun risque de bloquer la roue. Le comportement routier n’apporte aucune critique. La moto reste vive et amusante à mener, mais perd le côté (trop?) radical de ses aînées. Le plaisir reste, les angoisses parfois ressenties au guidon des roadsters s’envolent. La combinaison d’une position de conduite plus “ trail” avec une géométrie moins extrême donne un excellent compromis. Les suspensions apportent un confort jusqu’ici inconnu chez Buell. Un léger flottement peut se ressentir à (très!) haute vitesse, mais rien de rédhibitoire, de nombreuses GT n’offrent guère mieux. Une place à part Nous avons mené aussi la Buell en ville, où la position de conduite et l’agrément du moteur font merveille. Mais sur ce terrain de jeu, la hauteur de selle et le rayon de braquage limité vous donneront régulièrement des sueurs froides et c’est dommage. Ces défauts qui ne se ressentent jamais sur route, et à fortiori sur autoroute, sont parfois difficiles à vivre. Tant que nous en sommes aux critiques, nous serions contents de voir les designers de Buell se pencher sur le tableau de bord, simpliste et peu pratique. Et tant qu’à faire, il peuvent jeter le garde-boue avant et le remplacer par un garde-boue, un vrai! En effet, dès qu’il pleut, toutes les projections de la roue s’envolent et sont projetées sur l’avant de la moto, qui est repeinte du haut en bas. Insupportable lors d’un voyage! La Buell Ulysses réussit le tour de force de préserver l’identité et le charme des Buell, tout en offrant une moto réellement exploitable au quotidien. Certes, elle n’atteint pas l’efficacité et l’homogénéité d’une BMW R1200GS, la reine incontestée de la catégorie, nous la voyons plutôt jouer dans la cour d’une Ducati Multistrada: l’esprit de la marque, l’efficacité et la polyvalence en plus! © Bruno Wouters