Profitons-en pour tracer en quelques lignes, forcément réductrices, l'histoire de la California. Pas mal de récits courent sur la genèse de l'emblématique V-twin Guzzi. Les premières ébauches sont tracées par l'ingénieur Carcano, père de la mythique "otto cilindri". Pas question pourtant de produire une moto ainsi motorisée chez Guzzi, à ce moment en difficulté. Les responsables pensent alors l'adapter pour propulser la Fiat 500, ce qui l'aurait transformée en petite bombe. Avec les 34 chevaux développés par le twin porté à 650 cc, la Fiat pointait à 140 km/h, un projet qui resta, lui aussi, sans suite.
Heureusement, à peu près au même moment, le ministère italien de la défense désire équiper ses troupes alpines d'un engin à trois roues motrices, capable d'affronter les pires difficultés. En délicatesse financière, la firme de Mandello ne peut laisser passer un tel marché et s'attelle à la tâche. Et voici la "mule mécanique", un bizarre engin capable d'emporter 500 kg et de littéralement grimper aux murs!
Policia Stradale
Le marché se révèle finalement moins juteux que prévu, avec la fourniture de seulement un demi millier d'unités… C'est alors au tour de la Policia Stradale de réclamer une moto plus moderne et plus puissante que la vieillissante Guzzi Falcone dont ils disposent. Le moteur en V est une fois encore revu et sa cylindrée fixée à 700 cc. La V7 est dévoilée à Milan en 1965 et, après évaluation, sera rapidement choisie par différentes administrations.
Cette V7 portée à 750 cc va aussi séduire la police californienne qui en équipera ses patrouilles dès 1968. Cette consécration obtient un écho retentissant en Europe, où est lancée une version civile de cette machine, naturellement baptisée "California". La légende est en marche. Le bicylindre en V face à la route deviendra la marque de fabrique de la vénérable entreprise née en 1921, au point de constituer quelques années plus tard la seule architecture moteur produite par Moto Guzzi!
Calif' à la place de la Calif'
Ceci dit, les dernières Calif' ne séduisaient plus qu'une poignée d'irréductibles, il était donc grand temps de voir apparaître la relève, chose faite avec la magnifique California 1400 présentée en 2012. La "new" California est d'abord apparue dans sa version Touring, aussi splendide dans sa livrée blanche que dans la plus sobre et classique version noire, équipée de son grand pare-brise, de ses valises et de ses phares complémentaires.
Quelques mois plus tard, la Touring s'est vue secondée par la Custom, débarrassée des attributs cités ci-dessus, mais enrichie d'amortisseurs à bonbonne séparée, de jantes passées au noir, d'une selle et d'un guidon spécifique. Il semblerait d'ailleurs que quelques autres variantes auront les honneurs du prochain salon de Milan, Moto Guzzi reprenant à son compte les recettes depuis longtemps éprouvées par Harley-Davidson.
C'est d'ailleurs la clientèle du constructeur américain que vise cette nouvelle California, plus sans doute que celle qui fit le succès des anciennes générations de California, un peu déroutés par la nouvelle venue, prix et gabarit ayant en effet sensiblement évolué.
Je ne reconnais plus personne en Harley-Davidson
En voyant tous les quinquas se précipiter dans les concessions "Las Vegas" du constructeur américain pour acquérir cet attribut métallique de réussite sociale, on se dit que le célèbre " Si à cinquante ans, on ne possède pas une Rolex, on a raté sa vie" de Jacques Séguéla semble en effet parfaitement coller au succès des rutilantes Harley-Davidson, au point que Franck Margerin en a déjà tiré trois bédés (Je veux une Harley) pour se moquer gentiment du phénomène.
Tellement obnubilés par leurs signes extérieurs de richesse, ces braves gens en oublient les autres motos, ou alors, habitués qu'ils sont à payer plein pot pour les rutilantes concessions auto Porsche, Mercedes, BMW ou Audi, ils ne sont rassurés que par les supermarchés de la frime que sont devenus les temples Harley-Davidson. Ces "bikers" se seraient enfuis en courant s'ils avaient poussé la porte de Supercycle, l'importateur de la marque en Belgique dans les années '80, un bouclard authentique mais qualifié, à des années lumière de l'image "gentil rebelle" véhiculée aujourd'hui!
Nous ne partageons pas les mêmes valeurs
Et c'est vrai que la California n'est pas aidée par un réseau clairsemé et discret. La compétence n'est pas en cause, les concessionnaires Guzzi débordent de passion et de savoir-faire. C'est un autre monde, voilà tout. Des garages à taille humaine, pas des salles de spectacle! Une forme d'exclusivité, aussi. Quand il se vend bon an mal an en Belgique 3.000 Honda ou 2.400 BMW, il s'écoule 1.200 Harley-Davidson, mais seulement 80 Guzzi, soit moins que de Ferrari! Une moto de connaisseur, de puriste, et largement supérieure en termes de prestations. Dommage de ne pas s'y intéresser, non? Evidemment, pour épater le badaud, la Harley et tout le cirque qui gravite autour (quoi?! Vous n'avez pas offert à Madame un string badgé bar & shield?!?) le font mieux, non?
L'héritage Guzzi surpasse pourtant largement celui d'autres constructeurs aujourd'hui plus connus, et cette légitimité s'exprime parfaitement avec la California 1400. Le dessin, parfaitement maîtrisé, reste d'un classicisme de bon aloi, avec cette touche de classe italienne qui fait toute la différence. Visez ces splendides culasses mordant le réservoir, la poupe généreuse mais élégante, l'audace des feux arrières, le style du tableau de bord, le dessin des roues. Rien ne vient entacher cette puissante harmonie. Si l'esthétique reste un sujet subjectif, rares pourtant seront ceux qui trouveront à redire sur la vigoureuse mais équilibrée plastique de cette Guzzi.
Style et caractère
Le caractère Guzzi répond présent: le twin, extrapolé du 1200 cc 8V, gagne en alésage pour cuber 1400 cc, mais garde son refroidissement air et huile, l'intelligente disposition du V face à la route favorisant la ventilation des cylindres. Monté souple dans le cadre, il distille au ralenti les bonnes vibrations et fait doucement osciller la machine à chaque coup de gaz, couple de renversement oblige. La Calif' fait son poids, mais l'excellente position de conduite prodiguée par la Touring et l'équilibre général de la machine estompent la masse dès les premiers tours de roue.
Le twin déborde de santé. Coupleux comme on l'aime, il pousse avec vigueur dès les bas régimes. Mais alors que les twins concurrents s'essouflent assez vite, rechignant à prendre des tours, la Guzzi semble ne jamais se fatiguer et monte en régime avec puissance, dévoilant un tempérament réjouissant. Cette belle aptitude est encouragée par la rigueur du châssis dont la garde au sol, si elle n'égale pas celle d'un roadster, permet toutefois de garder un rythme soutenu. Les suspensions procurent un confort "Pullman", mais ne se désunissent pas lorsque le tempo se fait plus nerveux. Tant mieux, parce que sur la Touring, n'espérez pas régler la précontrainte des amortisseurs arrières, bien cachés par les valises qui ne se démonteront qu'à l'aide de la trousse à outils.
Une proposition unique
La Guzzi se démarque encore de ses concurrentes par une électronique embarquée unique sur ce segment. Commençons avec les trois cartographies moteur, allant de la sage Pioggia (pluie) à la vigoureuse Veloce, en passant par la polyvalente Turismo. Le climat californien ne nous a guère donné l'envie de nous intéresser au mode "Pioggia". Le "Turismo" apparaît facile à vivre, mais nous privilégierons vite le "Veloce", plus réactif. Pas d'état d'âme vis-à-vis de la distribution du couple à la roue arrière, l'antipatinage (réglable sur trois positions) veille au grain. Notons encore pour mémoire un cruise control, mais tellement peu pratique à l'usage que nous ne nous y intéresserons guère…
Autre point de satisfaction, un vrai freinage, prodigué par l'équipement Brembo. Puissance et feeling sont au rendez-vous et c'est tant mieux, avec une masse totale toute sauf anodine. Des éloges encore pour la transmission par arbre, complètement transparente à l'usage et la commande de boîte avec son levier à double branche.
En sautant (façon de parler!) d'une machine à l'autre, nous sommes moins séduits par la Custom. Son style plus dépouillé en jette un maximum, mais l'éventuel passager ne sera pas à la fête, et les aspects pratiques se sont envolés en même temps que les valises et le pare-brise.
La Guzzi California mérite plus que de "cruiser" sur Sunset Boulevard, d'autant que son encombrement et sa masse n'en font pas vraiment une "lame" dans les embarras de la ville… Le guidon, plus bas et plus petit de la Custom ne la rend pas pour autant plus naturelle à piloter, alors que la Touring, parfaitement équilibrée dans sa définition Grand Tourisme, ne donne qu'une envie, celle d'enquiller les kilomètres jusqu'à plus soif! 2.000 € séparent les deux machines (19.450 pour la Touring, 17.450 pour la Custom).