A la fin des années 30, avant que le monde ne bascule dans la terreur, il régnait une certaine euphorie automobile. L’amateur de voitures prestigieuses et sportives avait en effet le choix entre plusieurs montures : Mercedes 540K, Hispano-Suiza J12, Duesenberg… Des machines puissantes, mais lourdes ! Pour qui recherchait vraiment la performance absolue et le style avant-gardiste, il ne lui restait finalement que deux solutions : Bugatti Type 57 SC et Alfa Romeo 8C 2900B. Et cette dernière était incontestablement supérieure.

Pourquoi ?

Tout simplement parce qu’Alfa Romeo a fait preuve d’une invraisemblable démonstration technique. La 8C 2900B, c’est un peu le croisement entre une McLaren P1 et une Bentley Mulsanne. Une machine féroce, capable de performances inédites, mais également raffinée, luxueuse et confortable. Pour ce faire, rien n’était trop beau et les solutions techniques étaient alors considérées comme avant-gardistes : 8 cylindres en ligne à double arbre à cames en tête de 2,9 litres développant 180 chevaux, deux compresseurs Roots, amortisseurs hydrauliques, freinage hydraulique, 4 roues indépendantes… Un festival d’innovations technologiques auquel même Bugatti ne savait répondre !

Historique incroyable

Jusque 1949, l’historique de la voiture reste trouble. Mais après, cela se précise : la voiture est achetée par un pilote amateur, Mario Tavares, qui importe la voiture d’Italie au Brésil. La suite donnera des maux de tête aux puristes : la voiture est raccourcie et son fabuleux 8 cylindres en ligne se voit échangé contre un… V8 de Corvette ! Ainsi parée, la voiture participe à quelques courses locales, avec l’un ou l’autre succès à la clé.

Au même moment, en Argentine, un autre pilote amateur se porte acquéreur d’une Alfa Romeo 8C 2900 identique, également carrossée en Spider par Touring. Il modifie lui aussi la voiture pour en faire un bolide de compétition et il a la présence d’esprit de préserver la carrosserie dans un état plus ou moins original. Il la conservera jusqu’à son décès, en 1986.

Retour en Europe

En Europe, en 1983, un certain David Black commence à flairer l’existence de l’une de ces « immortelles Alfa ». Il rachète le châssis au Brésil, un châssis comprenant les suspensions d’origine, mais modifié pour accueillir le V8 Corvette. David Black décède quelques années plus tard et ce même châssis change encore deux fois de mains et finit par atterrir chez un collectionneur suisse. Ce dernier, Guido Haschke, se porte également acquéreur d’une carrosserie « Touring Spider » auprès d’un collectionneur italien. D’après lui, le doute n’est pas vraiment possible, cette carrosserie provient d’Argentine !

Un puzzle géant

En 1994, un collectionneur américain, Sam Maan, rachète le projet et engage « le » spécialiste de ces Alfa Romeo, Simon Moore, pour entamer la reconstruction. Il réussit à mettre la main sur un moteur authentique, un véritable 8 cylindres en ligne, ce qui permet donc une restauration complète et conforme à l’origine.

Surprise : lors de la restauration, il apparaît que les trous de la carrosserie correspondent parfaitement à ceux du châssis. Ce qui ne peut être une coïncidence : Touring, à l’époque, n’employait aucun moule et chaque voiture était donc unique. Il ne s’agirait donc finalement pas d’un assemblage de deux voitures, mais bien d’un seul et même véhicule, disloqué, puis réassemblé quelque quarante années plus tard ! La restauration fût terminée en 1997. La voiture fût ensuite engagée dans quelques concours d’élégance, où elle remporta de nombreux prix ! A son volant, Sam Mann effectua près de 20.000 km…

Intéressé ?

Pour tout amateur d’automobile qui se respecte, cette Alfa Romeo constitue un jalon essentiel. Une voiture qui représente à elle aussi toute la flamboyance technique et l’élégance stylistique de cette fin des années 30. Après, plus rien ne sera jamais pareil… Une voiture qui plus est, encore parfaitement utilisable de nos jours et qui serait capable d’en remontrer à bien des véhicules modernes, en dépit de ses… 77 ans !

La voiture sera proposée aux enchères les 19 et 20 août à Monterey et est actuellement estimée à environ 20 millions d’euros… Pour rappel, seuls 32 exemplaires furent produits, dont 12 Spider Touring. Parmi ces derniers, 7 reposèrent sur un châssis comme celui-ci… La bête est donc rare !