De quoi parle-t-on ?
En novembre 2024, Tesla a présenté ses Superchargeurs V4. Ceux-ci permettent de recharger les Model S/3/X/Y à une puissance maximale de 250 kW et le Tesla Cybertruck jusqu’à 500 kW. Tesla prévoit de déployer ces Superchargeurs V4 de 500 kW en Europe au troisième trimestre de cette année. Voilà une jolie nouvelle, sauf que… le seul modèle Tesla capable d’absorber une telle puissance est le Cybertruck… qui n’est pas commercialisé chez nous !
Quelques mois plus tard, en mars 2025, le constructeur chinois BYD a introduit son architecture « Super e-Platform », dotée d’une architecture en 1.000 V ! Celle-ci permet une puissance de charge de 1.000 kW, soit 1 MW (mégawatt). Un véritable coup de tonnerre dans le monde de l’électrique, d’autant que BYD a lancé, dans la foulée, deux modèles compatibles avec ces chargeurs ultra-rapides ! En Chine, le constructeur a même promis de construire lui-même 4.000 de ces bornes ! Notons que, contrairement à Tesla, BYD a prouvé par le passé qu’il était capable de concrétiser ses promesses dans les délais annoncés.
Fin mars, la marque chinoise Zeekr, l’une des nombreuses branches du groupe Geely, a annoncé qu’elle présenterait une borne de 1,2 MW pour voitures particulières, au salon de l’auto de Shanghai qui se tiendra fin avril. Huawei, quant à lui, est aussi entré dans la danse avec l’annonce d’une borne de 1,44 MW, tout en précisant viser principalement les camions avec cette technologie.


Quel problème cherche-t-on à résoudre ?
Les temps de recharge restent l’un des principaux freins évoqués par les particuliers lorsqu’ils considèrent l’achat d’une voiture électrique. L’industrie automobile espère, grâce à cette technologie, lever enfin l’un des obstacles majeurs à la croissance rapide des ventes de véhicules électriques !
Cela dit, plusieurs remarques s’imposent d’entrée de jeu. D’abord : avoir des bornes, c’est une chose. Mais si les voitures électriques capables de supporter de telles puissances ne sont pas encore sur le marché, le problème reste entier. Ensuite : les conducteurs d’EV ne considèrent généralement pas la recharge comme un problème aussi important que ce que les non-utilisateurs s’imaginent !
Les bornes ultra-rapides sont-elles une solution ?
Il est essentiel de comprendre que la vitesse de charge dépend de deux éléments : la puissance que la borne peut fournir et celle que la voiture peut recevoir. La Lucid Air Sapphire, par exemple, repose sur une architecture 900 volts lui permettant d’accepter jusqu’à 300 kW. À titre de comparaison, un véhicule électrique moyen utilisant une architecture 400 volts se recharge généralement entre 100 et 150 kW.
Autrefois, il était coutume de dire que la recharge rapide abîmait la batterie. Les études les plus récentes nuancent toutefois fortement cette affirmation ! Pour les conducteurs qui rechargent exclusivement via des bornes rapides, la batterie peut effectivement se dégrader légèrement plus rapidement. Cela signifie que le seuil minimal de la capacité résiduelle est atteint plus rapidement. Mais au final, cela ne veut pas dire que la batterie aura moins de capacité qu’une autre qui est toujours rechargée lentement.
Le système de gestion de la batterie veille à ce que la recharge se déroule de la manière la moins dommageable possible. La batterie est d’abord préchauffée jusqu’à une température idéale, puis elle est refroidie pendant la recharge pour rester dans une plage thermique optimale. La puissance de charge est également ajustée pour éviter toute surcharge.
Résultat : la puissance de crête n’est jamais maintenue longtemps et la vitesse de recharge diminue rapidement. En d’autres termes, une borne offrant une puissance maximale de 1.000 kW ne rechargera pas votre voiture quatre fois plus vite qu’une borne de 250 kW, même si celle-ci était capable d’encaisser les fameux 1.000 kW ! Le pic de vitesse sera certes plus élevé, mais celui-ci retombera ensuite rapidement à un niveau plus bas. Le gain de temps, en pratique, est donc bien moindre qu’on ne pourrait l’imaginer, surtout avec les technologies actuelles de batteries, de gestion thermique et de gestion de charge.

Notre réseau électrique peut-il supporter ces puissances de recharge ?
La capacité du réseau électrique est également un sujet important ! De telles vitesses de recharge ne risquent-elles pas de surcharger le réseau ? BYD affirme avoir trouvé une solution innovante. Et elle réside dans l’utilisation – ce qui n’est guère surprenant de la part d’un fabricant de batteries – de… batteries ! Chaque station de recharge est en effet équipée d’un grand système de stockage par batteries. Celui-ci permet d’amortir la demande sur le réseau électrique, rendant possible une recharge à 1 MW tout en ne prélevant qu’un courant limité sur le réseau. Ce type de stockage représente un certain coût, mais il permet de réduire d’autres dépenses, notamment en permettant l’utilisation d’un transformateur plus petit et donc moins cher !
Les chargeurs mégawatt sont-ils réellement utiles ?
Une recharge à 1 MW, voire plus, serait-elle totalement inutile ? Pas du tout. Ce type de recharge est particulièrement pertinent le long des grands axes routiers très fréquentés. Un conducteur qui entreprend un long voyage et souhaite profiter d’une courte pause pour recharger un maximum de kilomètres y trouvera un réel avantage ! On s’attend d’ailleurs à ce qu’il soit prêt à payer un tarif plus élevé pour profiter de cette vitesse !
Dans tous les autres cas, il est souvent plus intéressant pour l’utilisateur de payer un tarif plus bas dans des lieux où il passera de toute façon plus de temps. Prenons l’exemple d’un stade de football : si vous assistez à un match, votre voiture restera facilement 120 minutes sur le parking. Il n’est donc pas nécessaire d’y disposer d’une vitesse de recharge extrême ! On peut d’ailleurs reprendre le même raisonnement pour tous les endroits où vous laissez votre voiture : au travail, en faisant du sport, en faisant les courses, etc.


Pourquoi la Chine veut-elle une recharge aussi rapide ?
Différents facteurs entrent en jeu, notamment des motivations géopolitiques. La Chine est engagée dans un gigantesque effort de rattrapage – on pourrait même dire de domination – en matière d’électrification, et pas uniquement pour les véhicules ! Elle est en effet très dépendante d’autres pays pour l’approvisionnement en combustibles fossiles comme le pétrole et le gaz. Dans le contexte géopolitique actuel, dépendre de l’étranger pour sa croissance économique est loin d’être idéal ! Voilà donc pourquoi la Chine investit massivement dans les énergies renouvelables, mais aussi dans l’adoption des véhicules électriques. Le gouvernement chinois injecte par ailleurs des milliards dans ses entreprises pour leur permettre de prendre une réelle avance technologique ! Et cela semble porter ses fruits.
À cela s’ajoute la volonté de certains géants technologiques chinois de démontrer leur supériorité face à la concurrence. BYD, Geely ou encore Huawei veulent ainsi prouver leur avance ! Cela impressionne non seulement leurs rivaux nationaux et étrangers, mais aussi les consommateurs chinois, très sensibles aux performances techniques. Même si ces vitesses de recharge extrêmes ont un intérêt limité dans le quotidien du citoyen lambda, elles renforcent clairement l’image de marque des constructeurs !

Les bornes de recharge mégawatt vont-elles arriver en Europe ?
La Belgique est un pays de transit pour les camions, et des bornes mégawatt sont déjà en service pour les modèles électriques. Il y a donc de fortes chances que, dans les prochaines années, de plus en plus de chargeurs mégawatt pour poids lourds électriques voient le jour sur nos autoroutes. Ces installations pourraient, à terme, être adaptées pour recharger des voitures particulières…
La probabilité de voir émerger en Europe un projet de recharge aussi colossal que celui de BYD en Chine reste toutefois assez faible… du moins en ce qui concerne les constructeurs automobiles européens ! Mais il ne faut jamais dire jamais : face à la saturation du marché chinois, les constructeurs chinois misent fortement sur des revenus dans d’autres régions, comme l’Europe. Pour l’instant, cela passe par l’exportation de véhicules, mais dans quelques années, ils pourraient investir massivement dans des infrastructures de recharge sur les routes européennes, si leur stratégie chinoise s’avère rentable.