La donne est simple: les marchés européens et américains s'essoufflent et, pire, ne se renouvellent pas. Difficile pour un constructeur comme Harley qui ne possède dans son portefeuille que des machines lourdes et coûteuses d'appâter les gamins et les femmes, ou de séduire les marchés émergeants du sud-est asiatique (Malaisie, Thaïlande, Indonésie, Inde, Vietnam, Chine…), seule planche de salut pour écouler du deux-roues.

Il était donc vital que le constructeur américain dispose d'un produit adapté au plus grand débouché mondial. C'est maintenant chose faite avec la famille "Street", limitée actuellement à deux modèles, la 500 et la 750, qui ne se différencient que par l'alésage réduit de la 500.

Nouvelle plateforme que cette Street, et donc nouveau moteur. Si l'architecture V-twin transversal est reprise (le contraire eut été étonnant!) il se démarque des canons habituels de la marque sur de nombreux points. Baptisé Revolution X, il abandonne l'angle de 45° des bicylindres "historiques" pour reprendre celui des V-Rod, à 60°. Il reprend encore des V-Rod le refroidissement par eau, mais se contente d'un seul arbre à cames par cylindre.

Nouvelles cibles

Le nom "Street" conditionne dès le départ l'environnement pour lequel fut pensée la machine: la ville. L'accent fut donc mis sur la facilité de conduite et la maniabilité. Le gabarit et le poids restent donc mesurés (en comparaison avec les autres Harley-Davidson!), et tout un chacun s'y sentira à l'aise, avec une hauteur de selle limitée à 709 mm.

Le style général correspond assez bien à l'idée qu'on peut se faire d'une Harley, au même titre, en fait, que n'importe quel custom japonais affublé d'un V-twin: ni plus, ni moins. Est-ce pour cette raison? Notre Street, enrichie il est vrai de quelques pièces en aluminium taillé dans la masse puisées dans le catalogue de pièces, ne pleurait pas sur les logos de la marque. Le célèbre "Bar&Shield" s'affiche quatre fois sous le regard de l'heureux conducteur: sur le compteur, le support de guidon et les deux bouchons de fourche! On le retrouve naturellement sur le réservoir et, plus modestement, brodé à l'arrière de la selle, mais les carters moteur et le filtre à huile n'échappent pas au marquage "Harley-Davidson", les pneus non plus!

Made in India

Voyons voir si cette Street n'usurpe pas son logo! Fabriquée en Inde (seuls les Américains, Canadiens et Mexicains pourront s'enorgueillir d'une Street "made in USA"), cette Harley au curry supporte assez bien un premier examen. Certes, les plastiques cache-misère sont nombreux, et les misères ne sont pas toutes cachées, à l'image de cette touffe de câbles qui dépassent de dessous le cache latéral droit, mais relativisons: ça fait un bail que les bouts de plastique superflus pullulent et enlaidissent les motos et que les nombreux câblages électriques envahissent tout, que ce soit sur un Sportster, qui supporte mal la comparaison avec son aîné d'il y a quinze ou vingt ans, ou le dernier bidule italien à la mode, le Scrambler Ducati, sur lequel notre ami Krugger a viré tous les appendices disgracieux auxquels la production actuelle n'échappe plus.

L'équipement général brille par sa sobriété, avec un tableau de bord réduit à sa portion congrue, et quelques lacunes se font jour, comme par exemple l'absence de warnings

Facile à vivre

Après le tour du propriétaire, la prise en mains, rassurante, on s'en doutait un peu. Selle basse, repose-pieds raisonnablement en avant, guidon tombant naturellement dans les mains, on se sent immédiatement en confiance. Petit bémol pour les leviers non réglables, la norme chez HD, mais un souci pour les petites mains. Le moteur, mis en vie d'un coup de démarreur, laissera de marbre les habitués de la marque, qui ne verront pas la différence avec une japonaiserie tant honnie.

Les autres, ceux visés par le constructeur US, ne seront effrayés ni par le bruit, ni par les vibrations. Pareil une fois en mouvement. La Street se révèle en effet plaisante et facile en ville, avec un moteur linéaire facile à cerner et moins avare en performances qu'en caractère.

Cette bonne volonté évidente se retrouve dans la partie cycle, facile à mener. Cette Street se faufile avec aisance et naturel dans les "streets" de la "city". Et quand nous sortons de la ville, ça reste tout bon. La Street arrive en effet à concilier un comportement routier plaisant et rassurant avec un confort de bon aloi. Seul bémol, une garde au sol très limitée, aggravée peut-être par ces repose-pieds puisés au rayon accessoires.

Pas pour les tatoués

Rien à dire sur le freinage: s'il n'offre rien d'exceptionnel, il s'acquitte très honnêtement de sa tâche, mais on ne comprend vraiment pas pourquoi avoir fait l'impasse sur l'ABS, même pas disponible en option, alors que ce sera très bientôt obligatoire. Petit bémol aussi pour la commande au pied, mal positionné et au débattement trop généreux. Le moteur n'offre pas beaucoup plus de caractère sur la route, mais ne manque toutefois pas de puissance et emmène facilement la Street à fond de compteur, un compteur qui n'offre comme infos que la vitesse, le trip total et les deux trips journaliers en plus de quelques témoins lumineux. L'assise de la selle creusée maintient le pilote bien en place, mais ne lui laisse guère l'opportunité de changer de position.

La conclusion? Délicate… pour les aficionados de la marque! Si vous vous glissez dans la peau d'un biker pur jus tatoué au twin de Milwaukee, vous risquez de ne pas y trouver votre compte, mais les autres, tous les autres, et donc la clientèle visée, seront sans doute ravis de s'afficher au guidon d'une Harley-Davidson facile à vivre au quotidien.

Et pour ceux qui la trouveraient trop fade dans sa livrée d'origine, sachez qu'elle constitue une excellente base de personnalisation. Le constructeur a d'ailleurs organisé le "Battle of the Kings" Contest pour le prouver. Cette compétition a mobilisé de nombreux concessionnaires européens qui ont rivalisé d'inventivité pour développer leur vision personnelle de la petite Harley, et certains avec beaucoup de talent!