La Bonneville chez Triumph, ce n'est pas nouveau! Ca a même commencé en 1959, avec la première Bonneville T120, baptisée "Bonneville" en hommage aux records de vitesse obtenus par J. Allen aux commandes d'un "cigare" propulsé par un twin Triumph sur le célèbre lac salé de Bonneville dans l'Utah, et "T120" tout simplement parce que cette Triumph était capable d'atteindre la vitesse de 120miles par heure, soit un petit 195 km/h. Voici le début d'un mythe, d'une success story qui n'empêchera pas la marque Triumph de se fracasser au début des années '80. Intervient alors un homme complètement étranger au monde de la moto, John Bloor, qui rachète le nom Triumph. Quelques Bonneville seront encore assemblées par Lee Harris jusqu'en 88, suite à un accord avec John Bloor.

Ce dernier, pendant ce temps-là constituait une nouvelle équipe qui mettait au point les nouvelles Triumph, ne reprenant du passé que le nom, et bâtissait une usine flambant neuve d'où sortent en 1990 les premières motos. Modernes et fiables, elles font vite oublier les obsolètes dernières productions d'avant la faillite. Il faudra attendre dix ans avant que Triumph ne se risque à reprendre le patronyme Bonneville pour baptiser la machine qui rend hommage à son ancêtre. Bien accueillie dès sa sortie, la "new" Bonneville se fait une place au soleil rapidement, multiplie les variations (T100, SE, Scrambler, Thruxton…), évolue par petites touches en grappillant quelques centimètres cubes ou en héritant de l'injection. Quinze ans durant, elle fait le bonheur de nombreux amateurs, et constitue une base rêvée de personnalisation.

Pouvait mieux faire

Pétrie de qualités, la Bonneville pêche par ailleurs sur quelques ponts. Nombreux en effet sont ceux à déplorer un cruel manque de caractère du vertical twin, par ailleurs incroyablement conciliant et élastique. Et la partie cycle rend sans doute un hommage trop appuyé au passé, avec un comportement certes très sain, mais peu joueur et bien éloigné du comportement incisif qu'apportent les roadsters actuels.

Le message est visiblement très bien passé chez Triumph qui a entièrement renouvelé son offre l'an dernier. La Bonneville est revenue, nouvelle jusqu'au dernier boulon, en cinq variantes, de l'accessible Street Twin 900cc aux splendides T120 et T120 Black, en passant par les sportives Thruxton et Thruxton R qui surfent sur la vague café-racer. Et un an après, Triumph enfonce encore le clou avec quatre modèles supplémentaires: la T100, une Street Twin à la sauce T120, un Street Scrambler, un Street Cup au goût de café serré et un inclassable autant que spectaculaire Bobber T120! Fruit de quatre ans d'études, cette nouvelle génération de Bonneville est bâtie autour d'un moteur inédit qui cube dorénavant 1.199 cc sur la T120. Guère différent d'aspect, il s'en distingue pourtant par son refroidissement mixte air-eau qui participe certainement à l'obtention de la norme Euro4 et d'une consommation réduite. Le radiateur d'eau, très discret, ne prend guère plus de place que l'ancien radiateur d'huile. L'intégration des durites tient de l'orfèvrerie tant elles sont bien dissimulées, tout comme d'ailleurs le vase d'expansion et le pot catalytique, tapis derrière ou sous le moteur, ou les corps d'injecteurs déguisés en carburateurs. Autre différence importante, le calage à 270° du vilebrequin, qui avait déjà été retenu sur les anciennes Triumph Scrambler, America et Speedmaster.

Equipement généreux

La puissance de la T120 reste inférieure à celle de la Thruxton, 80 ch contre 97, mais le couple est obtenu plus bas: 105 Nm à 3.100 trs/min, soit 54% de plus au même régime qu'auparavant. Avec sa commande de gaz "ride-by-wire", la Bonneville dispose de deux modes de conduite, rain et road. Notons encore l'antipatinage (déconnectable), l'ABS, l'embrayage anti-dribbling, le feu arrière et le feu de jour à LEDs, la clé à transpondeur, la prise USB et même des poignées chauffantes très discrètement intégrées, la béquille centrale ou la poignée de maintien passager. Le tout de série, s'il vous plaît! Le très classique tableau de bord ne renonce pas à la modernité avec ses deux pavés digitaux indiquant rapport engagé, horloge, autonomie, consommations moyenne et instantanée, odomètre et deux trips, mode de conduite, configuration des poignées chauffantes, désactivation de l'ABS ou de l'antipatinage, ou encore l'indicateur d'entretien.

Esthétiquement, certains détails maladroits ont été corrigés. C'est ainsi que cette malheureuse cassure dans la ligne d'échappement a enfin disparu, pour former cette plus élégante ligne droite depuis le coude du collecteur jusqu'à l'extrémité du pot saucisson, une ligne conforme aux Bonneville historiques. Le dessin du feu arrière se veut lui aussi plus respectueux du passé, tout comme le logo Triumph brodé en bout de selle, très raffiné. Cette Bonneville, décidément très désirable, devrait faire craquer tous les nostalgiques tant son évocation du passé semble maîtrisée.

La moto de Papa

De fait, en découvrant la Bonnie, on se dit immédiatement que la moto de Papa avait du bon! La ligne iconique de la Bonneville, l'essence même de la moto, fait mouche immédiatement. Une taille mesurée sur laquelle tous les gabarits se sentiront à l'aise, une selle accueillante et confortable, une position de conduite naturelle et sans reproche donnent immédiatement le ton. Mais ne vous y trompez pas, sous son aspect menu, la T120 fait malgré tout son poids! 224 kg à sec n'ont rien d'anodin et ceux qui ne verraient dans la T120 qu'une Street Twin plus performante se trompent… lourdement, nous le verrons plus loin.

Par rapport à sa devancière, et même si elle reprend une définition châssis guère différente avec son cadre en acier double berceau, l'empattement se réduit nettement, l'angle de chasse aussi. Dès les premiers tours de roue nous mesurons le chemin parcouru face à l'ancienne génération. Certes moins souple dans les toutes basses rotations que la Bonnie 865 cc qui acceptait d'avancer en cinquième sur un filet de gaz à un régime de quasi-ralenti et de monter jusqu'à la zone rouge avec une agaçante linéarité, la T120 rechigne un peu à descendre sous les 1.500 – 2.000 trs/min, dépendant du rapport engagé. Passé ce cap, le vertical twin donne le meilleur de lui-même, avec une poussée franche et virile. Pas besoin d'essorer la poignée pour monter à l'assaut de la zone rouge, les 80 ch sont tous lâchés à 6.500 trs/min. Le bon truc, c'est de se complaire dans les mi-régimes, de 2.500 à 5.000 voire 5.500 trs/min. La Bonneville se dévoile alors sous son meilleur jour, avec un moteur qui en veut en tirant sur les bras. Sensations garanties dès la moindre rotation de la poignée! Les vibrations restent raisonnablement contenues, le calage à 270° et les balanciers d'équilibrage n'y étant pas étrangers.

Classique

Le châssis, de facture fort classique, définit un comportement… fort classique! Autant la Street Twin nous avait complètement séduit par un rendu de roadster contemporain, n'ayant rien à envier à une ER-6 par exemple, autant la T120, avec sa géométrie plus classique, sa roue avant de 18" et un surpoids conséquent, nous a paru nettement moins joueuse que sa petite sœur. Autant elle se révèle facile et maniable en ville, où son étroitesse et la douceur de ses commandes fait merveille, autant elle ne se départit pas à un rythme plus enlevé d'une certaine lourdeur du train avant.

Ceci n'enlève rien à l'agrément de la Bonneville, qui reste saine en toutes circonstances, mais incite plutôt à tenir un tempo plus apaisé, mais non moins plaisant. Le freinage ne manque pas d'efficacité, avec toutefois un mordant modéré mais un frein arrière efficace. Tout ça ne manque pas de logique et reste cohérent avec la définition de cette T120 qui, on s'en serait douté, délivre un remarquable confort.

Les selles à l'ancienne, longues, larges et surtout épaisses avaient décidément du bon, tandis que les suspensions, d'un traditionalisme qui pourrait faire craindre le pire, abattent pourtant un excellent travail. Attentives au bien-être de votre séant, elles procurent aussi un comportement sain et prévisible à cette machine qui privilégie la balade à l'arsouille.