Rappelez-vous, en 2010, Honda secoue le landerneau motocycliste avec une VFR équipée d'une boîte robotisée à double embrayage. Plus de levier de vitesse, plus de levier d'embrayage, inutile de vous préciser que ça a bien jasé dans le milieu des motards. Quoi!? Pas d'embrayage? Passage automatique des vitesses? J'en veux pas! La moto, Mossieur, c'est un art, ça se pilote, un "vrai" motard passe ses vitesses lui-même, non mais sans blague! Visiblement, certains confondent levier de vitesse avec virilité!
Faut-il rappeler à ces poilus purs et durs qu'il fût un temps où une moto se démarrait au kick (pour nous, les Hommes, les vrais!) et que ceux qui cédaient aux sirènes (le plus souvent japonaises) du démarreur électrique passaient pour des riens que moins, des motards du dimanche, des… (censuré!). On ne les entend pas beaucoup se plaindre aujourd'hui de la disparition du kick, ce viril appendice qui faisait le tri entre les vrais motards, ceux qui maîtrisent l'art de démarrer une machine revêche et au taux de compression décourageant, et les autres qui suent sang et eau à s'acharner sur cette salop… de m… qui reste muette!
Les sirènes du progrès
Ce véritable examen de passage séparant le bon grain de l'ivraie ne suscite plus qu'une larme émue au coin de l'œil ravagé par la cataracte de quelques papys chenus… Plus près de nous, la propagation de l'ABS sur la plupart des machines a suscité le même émoi! Qu'en sera-t-il avec le double embrayage? D'abord honni, puis adopté?
Honda semble y croire sérieusement et, au vu de la situation dans le monde automobile, le constructeur japonais pourrait bien avoir raison avant tout le monde! La VFR a ouvert la marche, elle a bien sûr été suivie par sa variante "trail", la Crosstourer, mais aussi en 2012 par une très intelligente famille de modèles cubant 670cc, les NC750S, NC750X et l'improbable Integra, qui reprend mécanique et châssis de ses sœurs, mais se la joue travelo en se déguisant en scooter!
Exception motocycliste
Toutes ces machines, soit cinq au total, laissent le choix entre transmission classique ou robotisée, hormis l'Integra naturellement disponible avec la seule boîte DCT (Dual Clutch Transmission), velléité de s'essayer au genre "scooter" oblige. Le moteur des trois NC constitue à lui tout seul une exception motocycliste.
Avec sa zone rouge à 6.000 trs/min, il détonne en effet furieusement dans la production actuelle. Atypique, mais pas désagréable du tout à l'usage, il semble donner le meilleur de lui-même couplé à la boîte robotisée, qui exploite au mieux une plage de régime plutôt limitée mais a contrario bien remplie.
Vous avez certainement pu lire dans nos comptes rendus de notre essai longue-durée de l'Integra tout le bien que nous en pensions. Honda a pourtant pensé pouvoir améliorer le modèle et nous a présenté en novembre dernier à Milan les trois soeurettes cubant dorénavant 750cc (745 pour être précis!), par augmentation de l'alésage. Résultat? Une puissance qui passe de 52 à 55 ch au régime inchangé de 6.250 trs/min, et un couple qui culmine dorénavant à 68 Nm au lieu de 62, au même régime de 4.750 trs/min.
Deux ans de réflexion
Dans la foulée, Honda a revu la cartographie de sa boîte DCT, rajouté un deuxième arbre d'équilibrage pour réduire les vibrations du moteur, retravaillé le pot d'échappement et mis à la benne le grossier bras oscillant en acier pour un plus valorisant élément en aluminium.
L'ergonomie a été repensée aussi, avec un gain de huit centimètres au niveau des genoux, ce qui ravira les grands gabarits, et une selle affinée de 40 millimètres, qui enchantera les plus courts sur pattes d'entre nous en facilitant l'accès des pieds au sol. Du coup le design évolue discrètement, avec en prime un caractère plus marqué.
Comme si cela ne suffisait pas, les leviers de freins sont désormais réglables sur six positions. Le tableau de bord, a priori identique, s'enrichit de quelques infos bien dans l'air du temps, comme un indicateur de consommation moyenne et instantanée. Pour la température extérieure, on repassera, et les infos ne défilent qu'en actionnant un bouton placé sur le tableau de bord, une aberration en termes d'ergonomie, hélas partagée par de nombreux véhicules…
Fondamentaux préservés
Pas de changement sur le fonctionnement de principe de la transmission: nous avons droit à deux modes automatiques, "drive" et "sport", ainsi qu'à un mode manuel utilisant deux "palettes" à main gauche, ou plus exactement deux interrupteurs actionnés par le pouce et l'index.
Ajoutons encore qu'il est possible d'intervenir manuellement sur les deux modes automatiques en forçant le passage d'un rapport supérieur ou inférieur, tout en restant sur le mode automatique. La nouveauté, que nous avons pu goûter sur les routes grecques, se situe dans la réactivité améliorée des passages de vitesses, avec des rétrogradages plus fréquents qu'auparavant.
Est-ce la nouvelle cartographie? Est-ce l'apport du second arbre d'équilibrage? Toujours est-il que ces passages de vitesse se produisent avec plus de rondeur. Autre différence, le surcroît de puissance et de couple a permis d'allonger la démultiplication des rapports, de 6% du premier au cinquième, et de 3% pour le sixième.
Fun
Et à la conduite, ça donne quoi? Plus de fun! Le moteur se montre plus vif, avec des accélérations encore plus franches qu'auparavant, moins de vibrations. Si le mode "drive" reste évidemment encore paresseux, il convient parfaitement à une conduite "eco-friendly", apaisée sans se montrer ennuyeuse. Quand la route se fait joueuse, pas d'hésitation, le mode "sport" en donne bien assez pour ne pas avoir envie de passer en mode manuel.
Gaz à fond, les rapports montent quasiment jusqu'à la zone rouge, et les rétrogradages plus réactifs apportent un frein moteur bienvenu et des relances qui risquent d'en surprendre plus d'un! En termes d'agrément, faut-il vous rappeler que l'Integra n'est rien d'autre qu'une moto déguisée en scoot? Comprenez donc par là qu'avec un châssis de moto bien rigide, une géométrie et des roues de moto, on ne s'emmerde pas à son guidon!
Bémol
Efficace, prévisible, bien suspendue, l'Integra peut facilement sortir de son costume de "commuter" pour partir en balade, et arsouilller si l'occasion se présente. Même la sonorité s'est faite plus flatteuse. Pas de quoi réveiller les voisins, ce n'est pas le genre de la maison, mais plus viril et évocateur qu'auparavant.
Le bonheur absolu, alors? Ce n'est pas une première mesure de consommation qui ternira le tableau: 4,3 L/100km sur notre essai, où nous n'avons guère pleuré sur le mode sport, gaz en grand, sans compter les inévitables séances de photo, particulièrement énergivores, qui va ternir le tableau!
Par contre, et c'est un recul incompréhensible, le freinage couplé qui faisait la force de l'Integra est passé à la trappe. Les responsables de la marque se justifient, arguant d'un gain de poids de deux kilos, certes respectable, puisque l'Integra 2014 perd un kilo sur la balance. Nous pensons plus perfidement qu'il ne s'agit que d'une affaire de gros sous. Et c'est dommage car ce système faisait l'unanimité. Si son absence ne gêne pas trop en conduite active sur route, son efficacité et sa facilité nous manquent cruellement dans un usage plus utilitaire, ce qui constitue malgré tout la tasse de thé de ce genre de machine.
Le meilleur du scoot, et de la moto!
Parmi les critiques, les grincheux ne manqueront pas d'ajouter que l'espace sous la selle fait rire n'importe quel scooter-addict, même si Honda ose prétendre que sa capacité s'est accrue (on doit sans doute pouvoir y glisser un paquet de clopes en plus…), et la transmission finale reste confiée à une chaîne, une tare rédhibitoire pour la plupart des mêmes scooter-addicts. Alors, plutôt que de voir dans l'Integra un scooter qui ne l'est pas vraiment, mieux vaut y voir un engin tellement plus facile et protecteur au quotidien qu'une moto, tout en offrant des prestations et un agrément parfaitement adaptés aux contraintes de la circulation actuelle…