Daniele Torresan, responsable des relations externes du groupe Piaggio auquel appartient Moto Guzzi, a eu la gentillesse de rendre ce voyage possible en nous procurant une machine du parc presse italien, spécialement rapatriée à l'usine pour nous. Attentif à nos besoins, il a même obtenu de la faire équiper d'un précieux porte-paquets, en complément des valises fournies de série!

Si l'usine n'est plus qu'un pâle reflet de ce qu'elle fut au temps de sa grandeur, elle donne encore toujours naissance à toutes les Guzzi depuis la création de la marque en 1921. Tout se fabriquait alors intra-muros. Maintenant, il ne s'agit plus que d'assemblage: un bâtiment accueille celui des moteurs, un autre la chaîne de montage des motos. Ceci dit, les fournisseurs extérieurs sont presque tous italiens, et la majorité d'entre eux officie dans le nord de l'Italie, principalement dans la région lombarde.

Résumée en quelques chiffres, l'usine compte actuellement 97 hommes sur les chaînes de montage; il faut compter quatre heures pour assembler un moteur, et encore cinq heures de plus pour monter toute la moto, qui devra ensuite passer quelques tests sur un banc d'essai pour valider le travail. Quelques motos prises au hasard seront ponctuellement menées sur la route aux environs de l'usine pour un ultime test avant l'emballage et l'expédition.

Cap sur la Toscane

Arrivés de Belgique le matin même, nous décidons le premier jour de "pister" jusqu'à Montecatini, à l'ouest de Florence, via Milan et Parme que nous contournons. Petite pause à la Spezia, le temps d'y déguster un ristretto bien serré en contemplant la Méditerranée, puis nous longeons Carrare, à l'infinie concentration de blocs de marbre et de carrière dont ils sont issus.

Nous quittons la côte à Viareggio pour nous enfoncer dans les terres en direction de Florence. Etape de liaison, ce premier jour, qui privilégie les liaisons autoroutières. La Calif' ronronne à un bon 4000 trs/min, aux environs de 130 km/h. Nous jouons un petit peu avec le cruise-control, qu'un seul bouton actionne. Une poussée longue pour l'initier, une deuxième poussée brève pour le bloquer sur la vitesse atteinte. Pas moyen de réduire ou d'augmenter la vitesse mémorisée, et pour déclencher, couper les gaz ne suffira pas: surprise garantie la première fois! Une fois le cruise-control interrompu, impossible de revenir à la vitesse mémorisée: pour réenclencher, il faut de nouveau atteindre la vitesse désirée.

California cruisin'

Ce cruise-control a le mérite d'exister, mais reste trop basique, au contraire de la protection, parfaite! Le grand pare-brise d'origine est, sur notre monture, complétée de deux petits déflecteurs transparents fixés derrière les clignotants. Y sont-ils pour beaucoup? Aucune idée, mais nous ne subissons absolument pas la pression du vent, même pas sur les jambes ou les pieds. On boufferait de l'autoroute des jours entiers, d'autant que la position de conduite semble taillée pour notre mètre quatre-vingt. Le pare-brise, protecteur, n'entame en rien la visibilité et la selle se montre attentive au confort de notre fessier et de celui de notre passagère, qui trouve elle aussi la Touring parfaitement à son goût. Large, confortable, un peu surélevé par rapport à l'assise conducteur, bordé d'un élégant cerclage de chrome ici prolongé par le porte-paquets, l'accueil passager ne fâchera pas votre conjoint.

Nous voici déjà au terme de notre première étape, Montecatini Terme. Le temps de poser nos bagages et de nous rafraîchir, nous prenons, sur le conseil de Fabrizio, notre hôte, le "funicolare" de 1898 qui relie Montecatini Terme à Montecatini Alto, perché au sommet de la colline. Lieu de villégiature apprécié, la ville a développé ses thermes dès le XVIème siècle. Pour la petite histoire, c'est ici que mourut en 1957 Christian Dior, d'une crise cardiaque.

La route du chianti

Les choses sérieuses commencent le deuxième jour. Après avoir contourné Florence par le sud, nous prenons la R322, plus connue sous le nom de "route du chianti", qui sillonne la campagne toscane au rythme de villages incitant à la flânerie. Nous ne résistons pas et stoppons notre Guzzi devant la macelleria Falorni, sur la place de Greve in Chianti, une boucherie en activité depuis… 1729! Nous trouvons encore un peu de place dans les valises pour y caser un bout de saucisson que nous dégusterons sur les remparts de Montepulciano, après avoir admiré Sienne, où les Italiens admiraient à leur tour la dernière-née de Mandello. Pas de doute, l'aigle Guzzi fait partie intégrante du patrimoine national! Le saucisson de Falorni aussi, d'ailleurs: la prochaine fois nous reviendrons avec un camion-frigo!

Déçus par la foule envahissante de Sienne, nous nous régalons au "duomo" d'Orvieto, bien plus calme et tout-à-fait charmant, le temps d'y déguster un sorbet à une terrasse. Notre California, qui avait la veille prouvé sa capacité à abattre de solides étapes autoroutières, nous démontre aujourd'hui ses aptitudes à la flânerie.

Cathédrale mécanique

Son châssis rigoureux ne sera mis à mal que par une garde au sol limitée, bien moins toutefois que celle de nombreuses concurrentes. Le confort reste impérial, le freinage puissant et facilement dosable. Envie de hausser le rythme? Une simple rotation de la poignée et la masse de la Touring se propulse en avant. Modernité (et politique de groupe) oblige, la 1400 reçoit une commande de gaz "ride by wire" héritée d'Aprilia, ce qui permet de proposer trois modes de cartographie. Le mode pluie conviendra aux plus timorés par mauvais temps, le mode "touring" adoucit la réponse à l'accélérateur, tandis que le mode "veloce" rend la réactivité directe. Sans hésitation nous avons privilégié le mode "veloce", plus réactif et plus vivant. Ce genre de moto se destine à un motard d'expérience, le genre de "poilu" qui a fait ses armes sans toutes les assistances à la conduite devenues aujourd'hui incontournables. Et ce motard-là est capable de doser une poignée de gaz…

Le moteur, une véritable cathédrale, dont les culasses mordent le réservoir, témoigne d'un tempérament généreux. Son couple de 120 Nm culmine à 2.750 trs/min. Inutile de préciser qu'on en profite à tous les instants: la Guzzi ne réclame pas de monter dans les tours pour arracher les bras. A contrario, le bloc ne rechigne pas à grimper en régime si nécessaire. Si la puissance maxi de 97 ch culmine à 6.500 trs/min, le rupteur ne coupe que 500 tours plus haut, soit une plage d'exploitation de près de 5.000 trs/min, bien plus étendue que sur une Harley, sa concurrente directe. Après Orvieto, nous admirerons encore Todi, autre cité d'origine étrusque, avant de nous poser en pleine campagne dans un accueillant agriturismo.

Feu d'artifice

Troisième jour, cap au sud via Terni puis Rieti, puis nous nous enfonçons dans le parc national des Abruzzes, en contournant Avezzano. Paysage surprenant que cette grande plaine rigoureusement plate et quasiment circulaire nichée entre les montagnes, à près de 700 mètres d'altitude! Le lac Fucino qui occupait cette surface fut asséché au XIXème siècle, cédant la place aux champs. Nous nous régalons du caractère enjoué de la Guzzi sur les routes de montagne menant à Pescasseroli, puis celles longeant le lac de Barrea.

Région la plus sauvage d'Italie, les Abruzzes abritent une dizaine de lynx, une centaine d'ours et le double de loups, qui auront le bon goût de ne pas croiser notre chemin. Le hasard et la beauté du village nous font arrêter à Sant'Angelo in Grotte, perché sur son rocher. Un vieil homme s'approche, s'extasie sur la beauté de la Guzzi et nous invite à rester ce soir pour voir la procession et le feu d'artifice à la gloire de l'Archange Saint Michel, ce que nous accepterons avec grand plaisir!

Nous quittons le lendemain l'Apennin Central par le Molise en mettant le cap sur Campobasso, puis Foggia pour rejoindre la côte à Barletta. Chanceux jusqu'ici avec la météo, nous commençons à déchanter en voyant devant nous un ciel remarquablement plombé. La route détrempée nous pousse à enfiler les combinaisons de pluie, et nous décidons de stopper dans le port de Trani pour une pause "frutti di mare".