Et puis patatras! Impossible de rentrer ce foutu itinéraire dans mon GPS, que j'arrive même à bloquer à la veille de mon départ. Pas le choix, je fais le crochet par les bureaux de Garmin avant de prendre possession du félin. Je tombe sur Francis, qui me douche immédiatement en m'annonçant que le service réparations a déménagé en Angleterre. Gloups! Je suis fichu! Devant ma mine déconfite, Francis prend les choses en mains (enfin, le GPS!) et disparaît. En moins d'une demi-heure, mon Garmin était débloqué et mes itinéraires injectés. Merci, Francis!

Passage éclair dans les superbes bureaux de Jaguar Belgique (dont les murs ont vu naître les mythiques Minerva) et retour au galop at home avec la F-Type pour y prendre quelques affaires et expliquer à Madame que, pour les bagages et au vu de la taille du coffre, ce sera plutôt tendance camp nudiste au Cap d'Agde que ski à Chamonix…

Trop froid…

Nous partons au petit matin blême et, malgré nos bonnes résolutions, nous n'avons pas le courage de décapoter: il fait vraiment trop froid et humide. Cap sur Soissons, non sans un regard sur Coucy-le-Château, à l'histoire tumultueuse et dont le château fut dynamité en 1917 par les Allemands qui l'occupaient. Nous ne sommes qu'à un jet de pierre du circuit de Folembray, un terrain de jeu sur lequel j'aurais bien emmené la Jaguar.

La F-Type, apparue en 2012, possède en effet tous les attributs d'une sportive. Sous sa ligne racée taillée dans l'aluminium se cache un châssis à l'empattement court et aux voies larges, avec un énorme travail sur l'équilibre des masses: porte-à-faux réduits, batterie et réservoir de lave-glace à l'arrière, centre de gravité abaissé et position de conduite au plus près de l'essieu arrière, toute la conception de la voiture respire le plaisir de conduite exprimé par les proportions de la voiture.

Nous restons sages pour le moment et, arrivés à la hauteur de Paris que nous contournons par l'est, nous décapotons pour profiter des premiers rayons de soleil qui lézardent enfin un ciel jusqu'ici uniformément gris. Coulomniers, Nangis, Château-Renard, les étapes s'égrènent et nous arrivons en vue de la Loire, que nous longeons sur la rive gauche jusqu'à la hauteur de Charité-sur-Loire.

Musique!

Le cockpit protecteur de la F-Type se révèle agréable à vivre, mais malgré tout étriqué. Si les bacs de porte acceptent sans rechigner une bouteille d'eau d'un litre et demi et le petit réceptacle entre les dossiers des sièges portefeuille, appareil photo, étui à lunettes et carnet, difficile d'y trouver place pour autre chose, Madame gardera son sac dans ses pieds!

Nous avons assez rapidement abandonné l'idée d'écouter de la musique, couverte par le bruit du vent, mais nous ne nous lassons pas de la bande son du V6 de 2.995 cc. Dans notre "S", il développe 380 ch à l'aide d'un compresseur volumétrique Roots, qui confère à la Jaguar un généreux couple de 460 Nm.

L'impressionnante sortie d'échappement tonne tant qu'elle peut, surtout avec l'amusant petit bouton niché sur la console et que nous avons immédiatement baptisé "bouton trompettes"! Il débloque des soupapes de dérivation libérant les passages des gaz d'échappement. Limite "too much", mais nous sommes restés de grands enfants…

Performance

La route se fait plus sauvage et plus joueuse, et nous filons vers la Creuse via Saint-Amand-Montrond, Culan, Boussac, pour enfin nous poser à Aubusson. Un bon 600 km, une douzaine d'heures dans le cockpit de la F-Type, et pas le moindre signe de lassitude. Notre "F" Rhodium Silver (m'enfin! c'est une couleur pour une teutonne, ça!) est enrichie de quelques options qui font passer la note de 86.900 à 102.830 €.

Parmi celles-ci, les sièges Performance complétés du Pack Mémoire 2 (soit 3.050 € plus 1.930 € quand même!) procurent un maintien de premier ordre. Le châssis, très rigide, dispose d'un amortissement adaptatif qui gomme toute prise de tangage ou de roulis. C'est ferme, c'est précis, on s'amuse et on ne se fatigue pas. Le plaisir bien compréhensible que je ressens au volant est partagé par ma passagère qui m'encourage par de réguliers "vas-y, accélère!" que nombreux sont ceux à m'envier! Vivement demain!

Gaaaaaz!!

Grand soleil après une nuit réparatrice: nous escamotons le toit en douze secondes en nous réjouissant du programme de la journée, exclusivement composé de départementales. Pas de gaspillage de virages! Bouton "trompettes" enfoncé, vitres descendues, mode sport enclenché, la F-Type S fait parler la poudre.

Le moteur gronde, rugit, éructe, pétarade dans une symphonie assourdissante qui résonne sur les bas-côtés. Je joue des palettes et de la poignée de gaz, bondissant d'un virage à l'autre, dépassant un obstacle éventuel avec la même facilité qu'au guidon de mes habituelles motos.

Tout se conjugue avec talent: un châssis au top avec, on l'a vu, l'amortissement adaptatif, mais aussi un différentiel à glissement limité, des freins puissants et endurants, une direction précise et directe et une exceptionnelle boîte auto à huit rapports, idéalement calibrée et gérée à la perfection par un logiciel adaptatif analysant la conduite.

La fête est permanente, le spectacle total! Des paysages splendides baignés de soleil, des routes désertes, pas le moindre "bleu" pour brimer les ardeurs de notre félin qui ne demande que ça (du calme, Minou!), elle est pas belle, la vie? La consommation moyenne monte un petit peu (10,4 L/100km); mais elle se stabilisera à 9,9 L/100km sur les 2.500 kilomètres de notre périple. Pas cher payé pour le plaisir procuré! Treignac, Larche, Sarlat, Saint-Pompont, Fumel, Montaigu-de-Quercy, Valence d'Agen et enfin Lectoure, but de notre expédition.

Une histoire belge

L'histoire commence au début des années 90 avec le coup de cœur d'Henri Lambert, bruxellois d'origine, et de son épouse américaine Denise, lassés de la grisaille belge, pour une bâtisse du XVIIIème, nichée sur les rives du Gers, au pied de Lectoure. En ruine depuis une centaine d'années, l'ancienne tannerie est égayée par des volets bleus, bizarrement préservés des outrages du temps.

Intrigué par l'éclat particulier et l'état de ces volets, notre couple, intrigué, enquête, se renseigne, et découvre progressivement une merveilleuse histoire: celle du pastel, qui fit la fortune de la région avant de tomber dans l'oubli. Une drôle d'histoire, en effet! Le bleu de pastel régna en maître durant des siècles, avant d'être balayé par l'indigo et de disparaître dans l'oubli, jusqu'à l'époque de Napoléon.

Victime du blocus et donc privé d'indigo, l'Empereur charge les savants de l'époque de retrouver les secrets oubliés du pastel. Les seuls écrits sur ce savoir, auparavant jalousement gardé et transmis par voie orale de génération en génération de maîtres pasteliers, datent de cette époque et serviront de point de départ à Henri et Denise pour se lancer dans l'aventure du Bleu de Lectoure.

Bleu pastel

Je vous passe les anecdotes les plus surprenantes (retrouver des graines de la plante disparue au conservatoire nationaI des plantes médicinales de Milly-la-Forêt, le pastel ayant complètement disparu du paysage, la tonne de feuilles nécessaires pour obtenir deux kilos du précieux pigment, les invraisemblables étapes menant à ce fameux bleu de pastel, les mâts de cocagne au sommet desquels séchaient des boules formées des feuilles séchées de l'Isatis Tinctoria et qui étaient enduits de graisse pour dissuader les voleurs, mâts qui donnèrent à la région le surnom de "pays de cocagne" par la richesse qu'engendrait l'exploitation du pastel) pour retenir la capacité d'Henri et Denise à s'appuyer sur le passé pour se tourner vers l'avenir: procédés d'extraction plus rapides, gammes de produits variées et innovantes, contacts avec Airbus, et même avec… Jaguar!

Quelques années avant sa mort inopinée, Henri Lambert avait en effet repeint sa XJ avec ses pigments naturels, entamant des pourparlers avec le constructeur anglais. Avec la reprise de celui-ci par Ford, le projet passa hélas à la trappe. Avec la mort inopinée d'Henri, la belle anglaise s'est assoupie dans la cour de l'ancienne tannerie, trahie par le travail bâclé du carrossier, mais Denise, qui a repris les rênes de cette belle entreprise, ne peut se résoudre à l'abandonner. Les contacts ont repris avec Jaguar pour restaurer la voiture! Et, qui sait? Peut-être pourra-t-on un jour choisir sa F-Type recouverte d'une laque aux pigments naturels…